Lahouari Bakir

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Lahouari Mohammed Bakir, L’action restreinte bouge encore.

Le travail exigeant et concentré de Lahouari Mohammed Bakir est essentiellement pictural. Il lui arrive toutefois de délaisser la toile pour produire des objets et des images photographiques en nombre restreint. À côté des peintures élaborées dans le secret de l’atelier, ces objets et ces images offrent un contrepoint intempestif et déclaratif. Ce sont souvent des mots (« Homeland », « Eldorado »), voire une phrase entière (« Ma mère m’aurait bien vu à la place de Rachid Arhab »), écrits à la main sur du carton ou bien au néon et brandis comme des pancartes ou des banderoles, en des sortes d’adresses ambiguës, mixtes de revendications, de déplorations et de protestations. Comment comprendre Homeland, photographie prise devant le port de Sète, où passent les bateaux qui vont au Maroc, remplis d’immigrés qui rentrent au pays pour les vacances d’été ? Est-ce la requête désespérée d’un candidat au retour vers sa patrie ou bien la pancarte de fortune de celui qui la proclame justement ici, de ce côté-ci de la Méditerranée ? Et pourquoi la proclame-t-il dans la langue internationale des naufragés et des artistes ? Peut-être avant tout parce que le mot français de « patrie » ne peut plus s’énoncer ici, pas plus qu’en arabe. Mais comment diable se dit « patrie » en art ? Et l’art en a-t-il une, ou bien deux – deux au moins ? Autant peut-être que d’apatrides...
Né à Nîmes en 1973, la double polarité franco-algérienne de Lahouari Mohammed Bakir est au cœur de ses préoccupations plastiques et constitue le fond divisé sur lequel il repose, à nouveaux frais, la question irrésolue de l’art comme activité séparée, ainsi que l’atteste sa tonsure, reprise de celle fameuse de Duchamp, avec l’ajout du croissant du drapeau algérien, cette fois plus petit que l’étoile (La Révolution promise, 2013). Ses deux plus récentes séries de peintures : The Day Before (2011-12) et Objets de révolte (2014), s’attachent à nous présenter des objets qui hésitent entre le signe et la représentation. Comme abandonnés au milieu du tableau, ce sont de fragiles silhouettes à peine détachées du fond quasi monochrome qui en forme l’appui : un fusil sans âge, un drapeau blanc confectionné sur une brindille gracile, un body-bag en vert fluo ton sur ton. Leur présence fantomatique constitue le seul événement figuratif auquel nous puissions nous rattacher et leur position suggérée en appui précaire semble attendre de notre part autre chose qu’un simple égard contemplatif. Les Objets de révolte, par leur titre même, nous y engagent d’emblée ; toutefois, ces objets sont insaisissables : fabriqués à partir de morceaux récupérés dont l’origine est perdue, ces patchworks objectaux lorgnent davantage vers la fameuse bobine de fils sans utilité de Kafka, appelée Odradek, que vers des formes d’armes même rudimentaires. Ces peintures d’objets sont comme en attente d’un sujet, un sujet de peinture qui aurait réconcilié en lui tous les motifs à peindre et tous les motifs d’agir.